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Interview Meylan Finance – François Meylan

Merci à François Meylan pour cet éclairage détaillé sur les enjeux complexes de l’investissement dans l’industrie de la défense. Découvrez les critères clés, les performances financières, et les stratégies à adopter pour naviguer dans ce secteur en pleine évolution..

 

Quels sont les critères à considérer lors de l’investissement dans l’industrie de la défense ?

Il y en a plusieurs. Souhaitons-nous totalement exclure tout investissement dans cette industrie comme le fait, entre autres, l’institution de prévoyance zurichoise Nest ? Dans ce cas, vous écartez les deux avionneurs Boeing et Airbus dont plus de 50% de leurs activités se situent dans l’armement. Ou alors vous ne recherchez pas spécifiquement à investir dans le secteur qui nous occupe et vous n’appliquez aucun critère d’exclusion. C’est l’indifférence. Ou encore vous voulez vous constituer un portefeuille d’investissement avec un fort biais dédié à cette industrie. Finalement, vous pouvez aussi adopter la posture de notre Conseil fédéral qui encourage cette industrie mais avec des restrictions telles ne pas exporter du matériel de guerre vers un pays présentement en conflit.

 

Comment l’industrie de la défense se compare-t-elle en termes de performance financière par rapport à d’autres secteurs ?

En bourse, il y a deux facteurs à considérer, en plus des agrégats habituels que sont l’évolution conjoncturelle et l’évolution des taux d’intérêts. La qualité de la société et l’attrait de son secteur. Plus ce dernier a le vent en poupe plus il va capter des capitaux. Un exemplaire dans la cyber sécurité est le suisse Kudelski qui est une réelle déception par sa profitabilité très en-dessous de son secteur qui pourtant draine beaucoup de capitaux. Alors le secteur de l’industrie de la défense a au moins cet attrait : il va attirer beaucoup de liquidités. Ensuite, les succès seront divers. Les États-Unis absorbent à eux-seuls 38% de toutes les dépenses mondiales en matière de défense. Loin derrière on trouve la Chine avec 14%. Imaginez que la Chine souhaite combler son retard … Certains experts parlent de 15 ans. Personnellement, je pense que cela sera avant. Cet armement de la Chine panique tous les voisins du sud asiatique qui eux arment à leur tour. Quant à l’Union européenne dont les membres dépensent en moyenne pas même 1.8% du PIB pour se défendre contre près de 4% pour les États-Unis le rattrapage est phénoménal. Sans parler des nouveautés impératives telles que la nécessité d’élaborer des systèmes de protection anti-missiles et même anti-frappe nucléaire. Il y a deux principales raisons qui encouragent un État à s’armer: 1) se sentir menacé par un voisin; 2) vouloir gagner son indépendance militaire. À cela, il faut malheureusement ajouter les conflits qui sont provoqués et instrumentalisés par quelques multinationales elles-mêmes animées par des intérêts particuliers (1). Rappelons-nous le cas de la guerre illégale d’Irak en 2003 qui servait avant toute chose les intérêts économiques de l’entourage du clan Busch. On conclusion : ce secteur est prometteur sur le plan boursier.

 

Quelles stratégies recommandez-vous pour intégrer l’industrie de la défense dans un portefeuille d’investissement ?

L’arrivée en force de l’Intelligence artificielle (IA) bouleverse la donne en la matière. En effet, des sociétés telles que les américaines Palantir, C3.IA, Inc. ou la plate-forme norvégienne Opera vont devenir incontournables en matière d’IA et une partie importante de leurs clients sont issus de l’industrie de la Défense. Ensuite, vous avez les fabricants de drones civils qui sont très rapidement convertis à usage militaire. Et comment ne pas encourager Airbus avec son A320neo qui est 15 à 20 % plus efficace au niveau de la consommation du carburant que la première famille d’A320 ? De plus, il affiche des réductions de ses émissions de CO2 du même ordre et d’environ 50 % pour celles d’oxydes d’azote. Pourtant, Airbus c’est aussi des hélicoptères à usage militaire, des missiles balistiques intercontinentaux et un système de positionnement par satellites du nom de Galileo.
Étant moi-même un ancien officier supérieur de renseignement dirigeant au sein des Forces aériennes suisses je me rappelle que l’un de nos systèmes de conduite informatique était délivré par Siemens. La firme allemande nous permettait d’assurer le fonctionnement d’une base aérienne avec plus de 1700 militaires et assurant quotidiennement des missions de police du ciel et de transport aérien. Le grand public connaît Siemens pour l’électroménager et les Natels mais pas pour son pan militaire. Et va-t-on bannir l’entreprise américaine Motorola Solutions parce qu’elle est leader dans la radiomessagerie ou téléavertissement (les fameux pagers) parce le Hezbollah les utilisent alors que des millions de sapeurs-pompiers et de médecins dans le monde utilisent ces moyens d’alerte ?
Humaniste convaincu, je n’implémenterai pas spécifiquement de titres de l’industrie de la Défense – sauf demande expresse du client – mais je ne bouderai pas les entreprises innovantes même si elles ont une activité significative en lien avec l’industrie sous revue.

 

Comment évaluez-vous l’impact des controverses éthiques sur la valeur des investissements dans l’industrie de la défense ?

C’est la pierre d’achoppement. En terme de durabilité (écologie) cette industrie n’est pas connue pour son exemplarité. L’autre problème est la corruption et les pots de vin qui l’entourent. Bien que selon les Nations unies (ONU) l’industrie pharmaceutique est la plus corruptrice, celle de la Défense doit probablement lui emboîter le pas.
Par contre, sur le plan éthique on constate des changements de perception : avec le droit légitime et universellement reconnu par l’ONU de se défendre et avec le concept de la dissuasion. On effet, on conçoit que plus un pays est bien armé plus il génère un effet de dissuasion et ainsi évite un conflit armé qui sera par essence meurtrier. Cette notion est encore à étudier davantage pour pouvoir l’extrapoler. Rappelons tout-de-même l’adage en latin « Si vis pacem, para bellum » soit « Si tu veux la paix, prépare la guerre » qu’on attribue traditionnellement à l’écrivain militaire romain Végèce, IV – V ème siècle de l’ère chrétienne.

 

Quelle est votre approche pour équilibrer les considérations éthiques et les objectifs de rendement dans l’investissement en défense ?

L’usage civil de l’innovation quelqu’elle soit doit être prioritaire. Ensuite, on ne peut éviter qu’une bonne idée; un bon produit ou un service performant soient récupérés à des fins militaires. Le dialogue et l’accompagnement dans le processus de prise de décision à l’investissement sont essentiels.

 

Comment l’évolution géopolitique influence-t-elle les perspectives d’investissement dans l’industrie de la défense ?

Les exportations de matériel de guerre suisse ont atteint un montant record l’an dernier selon le Secrétariat d’État à l’économie (SECO). Près d’un milliards de francs de matériel de guerre. Ce n’est pas anodin pour un « petit » pays comme le nôtre. Au total, la Suisse a exporté vers 60 pays et le Qatar fut notre principal client absorbant à lui-seul près de 20 % de nos exportations. Ensuite, on trouve, dans l’ordre, le Danemark, l’Allemagne, l’Arabie saoudite et les États-Unis. Le pays des banques, des montres et du chocolat exporte de tout : véhicules bondés (un quart des ventes) mais aussi des munitions et composants pour munitions; des armes de tous calibres; du matériel de conduite de tir; des armes de petit calibre et finalement des composants pour avions de combat. « Des sociétés suisses telles que Lem peut en profiter. Elle produit des systèmes qui mesurent le courant électrique avec une grande précision. Huber & Suhner est partiellement active dans la défense à travers des produits dont l’emploi est destiné à l’aviation non seulement commerciale mais aussi militaire.
L’idée même pour une entreprise de faire partie d’un système de défense a beaucoup changé. Le changement de perception est systémique. Pour éviter une guerre, un effort de dissuasion est indispensable. Ce qui était inacceptable avant la guerre en Ukraine ne l’est plus aujourd’hui. » (2)
En Europe, le secteur s’est réveillé, à l’image de Rheinmetall. Les usines de l’allemand tournent à plein régime depuis le déclenchement de la guerre conventionnelle entre l’Ukraine et la Fédération de Russie.

De quelle manière les réglementations affectent-elles les investissements dans le secteur de l’armement ?

En vertu du principe de l’égalité de traitement inscrit dans le droit de la neutralité, Berne ne peut autoriser la transmission de matériel de guerre à un État en guerre.
De surcroît, la Suisse est signataire du Traité des Nations unies sur le Commerce des Armes (TCA) qui est un traité multilatéral qui réglemente le commerce international des armes : le commerce d’armes avec un pays en guerre est interdit si ces armes pourraient être utilisées dans le cadre d’une violation grave du droit humanitaire international ou d’actes graves de violence contre les femmes et les enfants. Ce qui ne nous empêche pas d’entretenir une étroite collaboration avec le fabricant israélien Elbit à qui nous avons commandé six drones de combat de dernière génération.

Quels sont les risques spécifiques liés à l’investissement dans l’industrie de la défense ?

C’est principalement le risque de réputation pour l’entreprise et la défiance des marchés financiers à laquelle elle s’expose, le cas échéant. En cas d’un scandale spécifiquement en lien avec un pot de vin ou une affaire de corruption.

Comment l’opinion publique sur les questions éthiques affecte-t-elle les décisions d’investissement dans ce secteur ?

Jusqu’à maintenant, l’exclusion de toute entreprise active dans l’industrie de la Défense relevait plus de l’utopie et du marketing. La forte détérioration des conditions d’existence tant à l’Est de l’Oural qu’au Proche-Orient et au Moyen-Orient change la sensibilité de l’opinion publique. Nous changeons de paradigme. Nous passons du fait d’exclure à celui d’expliquer. C’est plutôt réjouissant. Tout dépassement de dogme quelqu’il soit est une fenêtre qui s’ouvre sur la connaissance.

 

Quelles sont les tendances futures prévues pour l’industrie de la défense et leur impact potentiel sur les investisseurs ?

Récemment j’ai été en Israël et le coût de la guerre contre le Hamas leur avait déjà coûté plus de 60 milliards de dollars. Et le front sur le Sud Liban n’était pas encore ouvert. Ce sont des conflits extrêmement coûteux parce qu’ils sont de très hautes intensités technologiques. Chaque fois que l’État hébreux active son bouclier antimissile baptisé « Dôme de fer » ce sont des milliards de dollars qui sont brûlés. Et du côté de l’Ukraine et de la Russie c’est la haute intensité de la guerre conventionnelle qui est revenue sur le vieux continent. Avec une consommation d’obus stratosphériques au point d’aller se ravitailler auprès de la Corée du Nord d’une part et vider les réserves des membres de l’OTAN d’autre part. Avec l’apparition du drone kamikaze sur le champ de bataille… Tant le renouvellement des stocks que leur modernisation au pas de charge offrent un potentiel de croissance et de profits pour les investisseurs dans cette industrie intact ! Quand on sait le prix que l’on met dans une bombe et le nombre de nos congénères qui souffrent de sous-alimentation c’est plus que révoltant ! Redécouvrons la sublime chanson de Michel Sardou « Vladimir Ilitch », 1983. Tout était dit ! Je suis allé plusieurs fois visiter les camps nazis d’Auschwitz et de Birkenau en Pologne. Ils furent libérés en janvier 1945 par l’Armée rouge (les soviétiques). Combien de progrès accomplis dans toutes les sphères de l’activité humaine depuis cette période ? Pourtant, l’homme n’a pas changé. Sous le verni, on retrouve la bête.

Notes
(1) « Comment vendre la guerre ? Le complexe militaro-intellectuel »
Pierre Conesa, ancien haut-fonctionnaire au ministère de la Défense, et auteur de nombreux ouvrages dont « Vendre la guerre » ou encore « La fabrication de l’ennemi. »;
(2) Marc Possa, gérant, est associé de la société de conseil financier W Vermögensverwaltung, interviewé le 7 juin dernier par le journaliste Emmanuel Garessus pour Allnews.

Contact

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